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L A V I G E R I E . be

Eglise : crise et espérance

José Comblin
vendredi 28 février 2014 par Pierre Bastin, Webmaster


[bleu marine]José Comblin[/bleu marine] (+27 mars 2011),[marron] théologien d’origine belge, vécu au Brésil durant de nombreuses années. Dans le cadre d’un congrès de théologie organisé à l‘occasion du 30ème anniversaire de l’assassinat de Monseigneur Romero, il a prononcé un discours dont voici la partie essentielle.[/marron] Mars 2010.

Les intertitres sont de la rédaction.

Les questions qui m’ont été posées ces jours derniers m’ont donné l’impression que la situation qui règne actuellement dans l’Eglise déstabilise un grand nombre de personnes.

Alors que j’étais jeune, j’ai connu semblable expérience, voire pire. Pie XII avait condamné tous les théologiens importants de cette époque, les mouvements sociaux importants, le mouvement des prêtres ouvriers en France et en Belgique … Jeunes séminaristes, nous nous demandions : « Avons-nous un avenir ? » Un jésuite, le père Leiber, confesseur du pape et professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université grégorienne de Rome disait : « La situation de l’Eglise catholique aujourd’hui est semblable à celle d’un château du Moyen-Age : entouré d’eau, le pont-levis relevé, les clés jetées à l’eau. Il n’y a aucun moyen de sortir, c’est à dire que l’Eglise est coupée du monde : il n’y a désormais aucune possibilité d’accès. » Puis vint Jean XXIII et là, ceux qui avaient été persécutés deviennent soudain les lumières du Concile ; soudain, tous les interdits sont levés. Et renaquit alors l’espoir. Je raconte cela pour que vous ne soyez pas dans le trouble : il se passera quelque chose, on ne sait quoi mais il se passe toujours quelque chose. Comment expliquer pareille situation ?

La phase finale du christianisme

Nous approchons de la phase finale du christianisme. Cela fait 200 ans qu’il est entré en agonie. Cette agonie peut encore continuer pendant quelques décennies. L’Eglise a cessé d’être la conscience du monde occidental, elle a cessé d’être la force dynamisante qui éclaire, explique la culture et la source de la politique, la source de l’économie, la source de tout : ce qu’elle a été au long de l’ère chrétienne. Depuis la révolution française cela s’est déconstruit petit à petit et, chez nous, depuis l’indépendance et la séparation d’avec l’empire espagnol. Alors sont apparus de nombreux prophètes qui proclamaient : « Le christianisme est mort. »

Mais la façade est si robuste qu’elle maintient une tension constante. Toutefois, maintenant oui, je crois que le christianisme arrive à sa phase finale. Ce qui s’est passé avec l’encyclique [bleu]Caritas in veritate[/bleu] en est un signe. Combien de personnes l’ont lue ? Quelle répercussion a-t-elle eu dans le monde ? Silence impressionnant. Désormais, la doctrine sociale de l’Eglise n’a d’importance pour personne. Elle a cessé d’intéresser en raison de ce qui se passe au niveau de la réalité de terrain. Elle a cessé de pénétrer avec force les problèmes du monde actuel. Elle s’en tient alors à des théories terriblement vagues, terriblement abstraites et générales. La lettre [bleu]Caritas in veritate[/bleu] pourrait être sans problème signée par le Fonds monétaire international ou par la Banque mondiale. Il n’y a absolument rien qui puisse gêner ces agences. C’est un signe.

Autre signe, la conférence d’Aparecida s’est prononcée sur nombre de points mais elle veut faire de l’Eglise une mission : passer d’une Eglise protectrice à une Eglise missionnaire qui réalisera son action par les mêmes institutions qui ne sont pas missionnaires mais assurent le maintien de la présence de l’Eglise : les diocèses, les paroisses, les séminaires, les congrégations religieuses... Miracle ! Et voici qu’elles se transforment en missionnaires ! Depuis trois ans, je ne vois pas grande transformation. C’est à dire que le christianisme progressivement se dissout.

Semblable situation s’est déjà produite dans l’histoire et se produira encore souvent. Il faut apprendre à résister, à ne pas se laisser décourager, à ne pas perdre l’espoir à cause de ce qui se passe.

Ce qui se passe, c’est que, à Rome, on ne parvient pas à se convaincre de la mort du christianisme. On croit que les encycliques, et les institutions ecclésiastiques éclairent et conduisent le monde. C’est un monde fermé sur lui-même qui vit effectivement dans un château du Moyen-Age, entouré d’eau. Alors, que faire ?

Une distinction de base : Evangile et religion

L’Evangile vient de Jésus-Christ ; la religion ne vient pas de Jésus-Christ. L’Evangile n’est pas religieux : Jésus n’a fondé aucune religion, n’a pas établi de rites, n’a pas enseigné des doctrines, n’a pas organisé un système de gouvernement. Il s’est voué à annoncer, à faire connaître le Royaume de Dieu, c’est à dire un changement radical de l’humanité entière sous tous ses aspects - un changement des relations des hommes entre eux et des hommes avec Dieu – un changement dont les acteurs seront les pauvres. Il s’adresse aux pauvres parce qu’il pense qu’eux seuls sont capables d’agir avec cette sincérité, la sincérité qu’il faut pour promouvoir un monde nouveau. Il y aurait donc là un message politique, non pas au sens politique qui propose un plan, une méthode. Non, l’intelligence humaine suffira. Mais politique en tant que finalité, car c’est là une orientation donnée à l’humanité entière.

Et la religion ? Jésus n’a fondé aucune religion. Mais ses disciples, oui. Ils ont créé une religion en s’appuyant sur lui. Pourquoi ? Parce que la religion est quelque chose d’indispensable aux être humains. On ne peut pas vivre sans religion. Si la religion actuelle ici et maintenant se désintègre, il y a aux Etats-Unis 38.000 religions recensées. Les religions ne manquent pas. L’être humain ne peut pas vivre sans religion quand bien même il prend ses distances avec les grandes religions traditionnelles. La religion est donc une création de l’être humain.

La structure est la même dans la religion chrétienne et dans les autres religions. Il y a une mythologie chrétienne comme il y a une mythologie hindoue, shintoïste, confucianiste … C’est inhérent à la nature de l’ensemble de l’humanité. On cherche à expliquer tout ce qui est incompréhensible dans la condition humaine par l’intervention d’êtres, d’entités surnaturelles extérieures à ce monde qui est le nôtre et qu’en réalité elles dirigent.

Deuxièmement, une religion ce sont des rites, pour écarter les menaces et pour avoir accès aux bienfaits. Elles ont toutes des rites ; dans toutes, des personnes qui occupent une place à part, sont préparées pour gérer les rites et enseigner la mythologie. C’est ainsi que cela se passe avec les chrétiens aussi : comment pourraient-ils vivre sans religion ?

Les débuts de la religion chrétienne

Elle a commencé lorsque Jésus est devenu objet de culte. Cela s’est produit assez tôt, en particulier parmi les disciples qui ne l’avaient pas connu, qui n’avaient pas vécu avec lui. La génération suivante, ceux qui sont restés à distance dans le temps et dans l’espace. Jésus s’est alors transformé en objet de culte. C’est ainsi que, progressivement, [bleu]il s’est déshumanisé[/bleu]. Le culte de Jésus s’est substitué au fait de le suivre. Jésus, jamais, n’avait demandé à ses disciples un acte cultuel. Jamais il n’avait demandé que lui soit offert un rite : jamais. Ce qu’il voulait, ça oui, c’était une continuité, une continuité de lui-même. Cette dualité se fit jour tôt : 30 ou 40 ans après la mort de Jésus. Elle apparaît avec suffisamment de force pour que Marc écrive son Evangile … pour protester contre ces tendances à la déshumanisation, càd à faire de Jésus un objet de culte. C’est en cela que son Evangile est la parole d’un prophète afin de rappeler ce qu’était Jésus, ce qu’il a fait, qu’il a vécu en ce monde, le nôtre, qu’il a vécu ici sur cette terre, notre terre.

Cette tentation apparut progressivement dans le sillage du développement de la religion chrétienne. Il y eut un début de[bleu] doctrine[/bleu] : le symbole des apôtres. Que dit-il de Jésus ? Qu’il naquit et qu’il mourut. Un point, c’est tout. Comme si le reste n’avait pas d’importance, comme si la révélation de Dieu n’était pas précisément la vie même de Jésus ses actes, ses projets, son destin terrestre : là est la révélation. Mais cela, désormais, est en train de se perdre de vue. C’est la même chose pour les symboles de Nicée (325) et de Constantinople (380-381) : « Christ naquit et mourut ». Le concile de Chalcédoine (451) établit que Jésus possède la nature divine et la nature humaine. Mais, qu’est-ce qu’une nature ? Un être humain n’est pas une nature ; un être humain, c’est une vie, c’est un projet, c’est un défi ou c’est une lutte, c’est une vie en commun au milieu de tous les autres. Voilà ce qui est fondamental si nous voulons assurer la continuité de Jésus.
Progressivement, à partir des premiers conciles la distance se creuse avec la religion qui prend forme. Avec Nicée et Constantinople se constitue un noyau d’enseignements, un noyau de théologie et l’Eglise va se consacrer à la défense, à la promotion et au développement de cette théologie.

Désormais on prépare de grandes [bleu]liturgies[/bleu] et un [bleu]clergé[/bleu] est organisé. Le clergé, en tant que classe séparée est une invention de Constantin (272-337), c’est à dire que jusqu’à Constantin il n’y avait pas de distinction entre personne sacrée et personne profane : tous étaient laïques car Jésus n’avait pas prévu autre chose. Au contraire, il mit à l’écart les prêtres et n’avait en aucun cas prévu l’apparition d’une autre classe sacerdotale car tous les hommes sont égaux. Il n’y a pas non plus de personnes sacrées car pour Jésus il n’y a pas de différence entre le sacré et le profane : tout est sacré, tout est profane. Il y a maintenant dans la religion une distinction fondamentale entre sacré et profane, comme dans toutes les religions. Et il y a un clergé qui se voue à tout ce qui est sacré et tous les autres qui vivent dans l’espace profane sont des récepteurs et non des acteurs, ils n’ont aucun rôle actif. Pour jouer un rôle actif, il est nécessaire d’être consacré. Cela commence à l’époque de Constantin.

Evangile et religion dans l’histoire du christianisme

A partir de là vont apparaître [bleu]deux tendances[/bleu] : ceux qui comme dans l’Evangile de Marc, ont en tête que Jésus est venu pour que le chemin reste dans les esprits : il est venu pour que nous le suivions. C’est la base, le socle. Cette tendance va rénover et mettre en application dans divers contextes historiques ce que fut la vie de Jésus et son enseignement. Bien sûr nous ne savons pas tout car la grande majorité de ceux qui ont suivi le chemin de Jésus ont été les pauvres, ceux dont on ne parle jamais – ou si peu - dans les livres d’histoire. Ils n’ont donc pas laissé de documents. Mais des personnes et des institutions ont, elles, laissé des documents. Nous pouvons ainsi suivre leur cheminement voir où, au cours de l’histoire, apparaît l’Evangile, où on a recherché progressivement un vécu évangélique. Ceux qui ont cherché à suivre radicalement le chemin de l’Evangile ont été minoritaires, comme disait don Helder Camara, « des minorités abrahamiques ».

La majorité se situe [bleu]au pôle opposé[/bleu] : c’est à dire qu’elle se consacre à la doctrine, elle enseigne et défend la doctrine contre les hérétiques, contre les hérésies. Ce fut une de ses tâches majeures. Elle pratique les rites et constitue la classe sacrée, la classe sacerdotale.

Tout au long de l’histoire, [bleu]le pôle Evangile est en lutte avec le pôle religion[/bleu]. Il y a ceux qui se consacrent à la religion et ceux qui se consacrent à l’Evangile. Evidemment, il y a des situations intermédiaires. Dans l’histoire, deux groupes apparaissent : l’histoire officielle, celle qu’on nous apprenait lorsque j’étais jeune, c’était l’histoire de l’institution ecclésiastique ; on ne parlait que de la religion, dans l’hypothèse que la religion était l’introduction à l’Evangile. Mais ce n’était qu’une hypothèse. On peut penser que tout ce qui voit le jour en tant que constituant de la religion dans le système catholique, vient de Jésus, ainsi qu’on le disait dans la théologie traditionnelle dans les temps chrétiens : tout, dans l’Eglise catholique romaine vient de Jésus ! C’est avec bien des acrobaties théologiques qu’on parvient à montrer que tout a son origine en Jésus et n’a pas de racine dans d’autres religions, dans d’autres cultures comme si les chrétiens convertis étaient totalement purs de toute culture, de toute religion. Tous apportent leur culture, apportent leur religion introduisent dans leur vie chrétienne des éléments qui viennent de leur religion antérieure, de leur culture. C’est pourquoi leur religion a quelque chose d’ambigu et de complexe. C’est inévitable car les être humains qui intègrent l’Eglise ne sont pas des anges, ils l’intègrent chargés de siècles d’histoire, de siècles de transmission culturelle. Et tout s’y intègre naturellement.

En conséquence, une opposition d’[bleu]essence politique[/bleu] se manifeste clairement. L’Evangile émane de Dieu et par conséquent ne peut pas changer. La religion est une création humaine, elle peut et doit donc changer en fonction de l’évolution de la culture, des conditions de vie des peuples en général. Si la religion reste accrochée à son passé, petit à petit on l’abandonne pour une autre mieux adaptée ou plus compréhensible. L’Evangile se vit sans la vie concrète, matérielle et sociale. La religion vit dans un monde symbolique. Tout y est symbolique, doctrine, rites et prêtres. Ce ne sont qu’entités symboliques qui ne participent pas de la réalité matérielle. La réalité de l’Evangile est universelle parce qu’elle ne porte aucune culture et n’est associée à aucune culture, à aucune religion.

Les religions sont toujours associées à une culture : la religion catholique par exemple est liée à la sous-culture cléricale romaine que la modernité a marginalisée, qui est en pleine décadence car ses membres n’ont pas voulu accéder à la culture moderne. [bleu]L’Evangile est un renoncement au pouvoir[/bleu] et à tous les pouvoirs qui existent dans la société. La religion recherche le pouvoir et l’appui du pouvoir, à travers toutes les formes de pouvoir. Ceci est une évidence.

A l’époque de la détention des évêques à Riobamba (1976), (le gouvernement brésilien avait cassé une grève en enfermant des évêques venus manifester avec les grévistes et le nonce avait pris le parti du gouvernement) le nonce disait : « Si l’Eglise n’a pas l’appui des gouvernants elle ne peut pas évangéliser. » Au contraire, si elle a l’appui des pouvoirs, il lui sera difficile d’évangéliser. Evidemment, toutes les autorités étaient unies : le clergé et le gouvernement, le clergé et l’armée. C’est très difficile de renoncer à tout cela. Un évêque de Bahia, Luis Carpio, connu à cause de deux grèves de la faim qu’il a faites au Brésil pour protester contre un projet pharaonique du gouvernement basé sur un énorme mensonge, s’est exprimé dans plusieurs villes en Allemagne. On a voulu lui remettre la somme de 100.000 $. Il demanda d’où venait cet argent. On lui dit qu’il venait de diverses entreprises et de quelques cadres. Il dit alors : « Je ne peux pas accepter l’argent qui a été volé aux travailleurs, ce qui a été volé à ceux qui maîtrisent la production. » Il n’accepta aucune alliance avec le pouvoir économique. Combien, dans le clergé auraient eu la même réaction ?

Comment est née l’Eglise ?

L’Eglise dont on parle, cette réalité historique concrète, le pape, les évêques, les religieux et religieuses, cet ensemble institutionnel est à l‘origine d’une grande incertitude. [bleu]Jésus n’a fondé aucune Eglise[/bleu] : il se considérait comme un juif. Avec les premiers disciples, ils étaient le nouveau peuple d’Israël et les douze apôtres sont les patriarches du nouvel Israël. La première pensée était de continuer, de corriger et de perfectionner Israël.

Mais lorsque l’Evangile pénétra dans le monde grec, là-bas Israël ne signifiait pas grand chose. Alors Paul inventa un autre nom : il donne aux communautés qu’il fonde dans les villes, le nom d’ [bleu]« ecclesia »[/bleu], ce qui se traduit par église, assemblée, comme l’assemblée qui gouvernait la ville L’idée était que dans les villes grecques, le peuple se gouverne lui-même. Paul ne leur donne aucun nom religieux. Il les considère comme un groupe destiné à animer, comme un message de transformation, de telle sorte qu’elles mettent en place le commencement d’une humanité nouvelle, une humanité dans laquelle tous sont égaux, tous gouvernent tous. Puis vient l’épître aux Ephésiens. Il s’agit d’une Eglise comme expression du nouvel Israël … càd où tous les disciples de Jésus sont réunis en de nombreuses communautés mais pas institutionnellement. Unis par une même foi, tous forment l’Eglise, la grande Eglise qui est le corps du Christ. Il n’existe pas encore d’institution.

Mais cela ne pouvait pas continuer ainsi … Les juifs qui acceptèrent le christianisme n’abandonnèrent pas tout le judaïsme. Lorsque le nombre de chrétiens et le nombre des communautés augmentèrent, des [bleu]structures [/bleu] commencèrent à s’y introduire. Du temps de Paul, il n’y avait pas de prêtres, même si Luc dit le contraire. Mais Luc n’a aucune valeur historique, tout le monde le sait. Il attribue à Paul ce qui se faisait à son époque à lui, il imagine donc que Paul a fondé des conseils presbytéraux avec des prêtres. Comment justifier l’existence d’un évêque s‘il n’ordonne pas des prêtres ? A l’évidence, un début de séparation se produit, encore très simple car rien n’est sacralisé : il n’y a rien de sacré : les prêtres ne sont pas sacrés tout comme les prêtres des synagogues ne l’étaient pas ; ils avaient une fonction, une mission de gestion, d’administration mais pas une fonction rituelle, une fonction d’enseignement d’une doctrine.

Puis apparurent les [bleu]évêques[/bleu]. A la fin du 2ème siècle, on estime que le schéma épiscopal est généralisé, mais cela prit du temps. Clément de Rome, lorsqu’il publie sa lettre aux Corinthiens, dit « prêtres » ce qui n’est pas « évêques ». Il n’y a pas encore d’évêque à Rome. Mais le schéma épiscopal a été organisé. Probablement pour lutter contre les hérésies, contre le gnosticisme et toutes les nouvelles religions syncrétistes qui apparaissent alors.

Et l’Eglise, en tant qu’institution universelle, quand a-t-elle fait son apparition ? Au troisième siècle, il y eut des conciles régionaux : des évêques de différentes villes se réunissaient. Mais une entité ayant le pouvoir de tout institutionnaliser n’existait pas. Celui qui a inventé cette Eglise universelle fut l’empereur Constantin. Il réunit tous les évêques du monde romain ; voyages et entretien à ses frais et le concile fut organisé et dirigé par l’empereur et ses délégués. Cela constitue un précédent historique. Jusqu’à aujourd’hui, nous ne sommes pas libérés de ce que l’Eglise universelle en tant qu’institution soit née de la volonté de l’empereur.

Puis dans l’histoire de l’Occident, l’empire romain tomba et ainsi, progressivement, le pape parvint à atteindre la fonction impériale. Au Moyen-Age, il y eut de nombreuses luttes entre le pape et l‘empereur mais le pape se considérait toujours supérieur à l’empereur. Pendant les croisades, le pape était considéré comme le généralissime de toutes les armées chrétiennes. Et dans la tradition des Etats pontificaux, cela s’est maintenu. [1]

Lorsque le pape perdit le pouvoir temporel [2] il renforça son pouvoir sur les Eglises : il gouverna l’Eglise comme un empereur : tous les pouvoirs sont centralisés entre les mains d’un seul et avec toutes les apparences d’une cour et il n’y aura pas la moindre démocratie dans l’Eglise. Qui guidait le pape ? La cour, les courtisans, son entourage. Bien sûr, il ne pouvait pas tout faire à lui tout seul mais il s’agit d’une cour séparée du peuple des chrétiens ! Nous en subissons encore les conséquences. Le pape Paul VI a dit un jour qu’il fallait réellement changer la fonction actuelle du pape, càd ce qui lui incombe. Jean Paul II dans [bleu]Unum sint[/bleu] indique également qu’il faut prendre conscience que cette concentration des pouvoirs entre les mains du pape est un grand obstacle dans le monde d’aujourd’hui. Il faudrait trouver d’autres modalités de l’exercice du pouvoir. Tout cela fait partir de la religion.

La tâche de la théologie

La tâche de la théologie est complexe parce qu’elle a une fonction au regard de l’Evangile et une fonction au regard de l’Eglise ? Pendant des siècles, la théologie a été l’idéologie officielle de l’Eglise. Son rôle a été de justifier tout ce que dit et fait l’Eglise avec des arguments bibliques, liés à la tradition, et toutes ces choses que j’ai apprises lorsque j’étais au séminaire. Bien sûr, je n’y croyais pas mais la grande majorité y croit encore. Alors, que se passe-t-il ?

Le premier travail est de poser la question : « Que dit l’Evangile ? » Qu’est-ce qui vient de Jésus ? Qu’est-ce qui relève de l’influence du judaïsme, de l’influence d’une autre culture, d’une autre religion ? « Qu’est-ce qui vient de Jésus ? » Le Nouveau Testament tout entier ne vient pas de Jésus : non. Les Epîtres pastorales qui parlent par exemple des prêtres : ça ne vient pas de Jésus. Le travail de la théologie consistera donc à faire la part de ce qui vient de Jésus , à dire ce qu’il a réellement voulu, ce qu’il a réellement fait et en quoi consiste réellement la continuation de Jésus.

Si l’on considère l’histoire, quelles ont été les manifestations dans lesquelles, sous des formes différentes, nous pouvons identifier la continuation de cette ligne évangélique ? Voulons-nous avoir un impact sur le monde d’aujourd’hui ? Or tout ce qui relève du religieux n’intéresse pas. Ce qui peut intéresser, c’est l’Evangile et le témoignage évangélique. Personne ne sera converti par la théologie, si bon que soient les cours que vous donnez ! Personne ne deviendra chrétien sous l’effet de la théologie.

Mais alors, pour quelle raison dans les séminaires croit-on que la formation sacerdotale consiste à enseigner la théologie ? Je ne comprends pas. C’est tout autre chose qu’il faut faire pour évangéliser et ce n’est guère plus complexe. C’est pourquoi j’ai décidé, il y a 30 ans, sous le regard de Dieu, de ne plus jamais travailler dans les séminaires. Plus jamais.

Voici donc la ligne évangélique : Saint François … il était un extrémiste. « Ce que j’enseigne, je ne l’ai appris de personne, pas même du pape ; je l’ai appris directement de Jésus à travers l’Evangile » disait-il. C’est cela qui peut convaincre le monde d’aujourd’hui qui est totalement perturbé et qui s’éloigne toujours plus des anciennes Eglises traditionnelles. Toutes les grandes religions sont nées plus ou moins entre 1000 et 500 avant le Christ, excepté l’Islam qui est apparu ensuite. Mais c’est une sorte de branche de la tradition judéo-chrétienne. Voilà un premier point.

En second lieu, que faire de la religion ? Il faut examiner dans le système tout entier de la religion ce qui aide réellement à saisir, à comprendre, à agir selon l’Evangile. Quelque chose peut-il être né chez des moines par inspiration de l’Esprit ? La vie des moines du désert en Egypte, cela n’est pas un message, cela ne vient pas de l’Evangile. Beaucoup de choses ont leur origine dans on ne sait quelle tradition. Ce peut être le bouddhisme ou d’autres traditions semblables. Il faut donc évaluer ce qui reste valable aujourd’hui et le faire avec objectivité.

Jésus n’a pas institué 7 sacrements. Jusqu’au 12ème siècle on débattait sur le nombre…10, 7, 5, 9, 4 ? On n’était pas d’accord. Finalement on a décidé qu’il y en avait 7. D’accord avec les 7 jours de la Genèse, des 7 planètes … cela ne dit plus rien au monde actuel ! Comme par exemple la confession auprès d’un prêtre et le sacrement de la pénitence. Combien sont ceux qui se confessent actuellement ? Ce qui signifie que les gens ne sont pas concernés. C’est quelque chose qui a été établi au 12ème, 13ème siècle. Pourquoi maintenir ce qui n’a plus de sens et au contraire provoque un net rejet. Que l’on ait besoin de parler à quelqu’un, oui, mais pas précisément à un prêtre : il y a beaucoup de personnes, beaucoup de femmes qui peuvent remplir ce rôle et bien mieux, avec plus de pondération, sans terroriser comme cela s’est produit avec des prêtres. C’est un premier point.

Il y a une montagne de choses qui sont à revoir parce qu’elles n’ont pas d’avenir. Il est donc inutile de vouloir défendre ou maintenir ce qui désormais est un obstacle à l’évangélisation et qui n‘aide absolument à rien. Dans la liturgie beaucoup de choses sont à changer : la théorie du sacrifice a été bien évidemment introduite par les juifs. Dans le Temple, on offre des sacrifices, les prêtres sont des personnes sacrées qui offrent le sacrifice. Cette théorie du sacrifice ne signifie absolument rien aujourd’hui. Que le père soit voué au sacré pour offrir le sacrifice et que l’Eucharistie soit un sacrifice, est-ce que tout cela vient de Jésus. Il faut voir si cela a ou non une valeur. Pourquoi maintenir ce qui n’a pas de valeur ?

Il faut ensuite voir l’autre face du problème : ce qui n’aide pas, ce qui s’est infiltré à travers d’autres tendances, d’autres courants. Ainsi, la vie ascétique des moines irlandais. L’Irlande a été l’île des moines. Là-bas les évêques n’avaient pas d’autorité ; ils servaient à ordonner des prêtres ; mais pour tout le reste, ils étaient en repos. Ceux qui dirigeaient, c’étaient les moines : tout était centré sur les monastères qui étaient l’équivalent des diocèses actuellement. Ces moines irlandais avaient une vie d’ascèse mais si extraordinairement inhumaine pour nous qu’il est impossible que cela soit venu de Jésus, impossible que cela nous aide car ils étaient là-bas des surhommes. Il n’y en a pas de semblables aujourd’hui …entrer nus dans une rivière si froide là-bas et y réciter, nus, tous les psaumes. On ne doit pas estimer qu’être chrétien, c’est cela ! Ce n’est pas non plus une marque de sainteté. Ce n’est pas ainsi que se manifeste la sainteté. Tout ce qui vient de là est à examiner.

Dans les congrégations féminines, il a fallu lutter pour changer les coutumes, les traditions qui ne sont pas évangéliques. Que de débats ! Entre celles qui veulent tout conserver et celles qui veulent abandonner ce qui n’est plus utile et trouver un autre mode de vie plus adapté à la situation actuelle.

Et la tâche qui incombe à la théologie ? Il faut changer. La tradition doit cesser d’être l’idéologie de tout le système romain : cela n’a pas d’avenir. Ce genre de théologie a été abandonné déjà depuis longtemps.

Un nouveau franciscanisme latino-américain.

Le 16 novembre 1965, [bleu](vers la fin du Concile Vatican II)[/bleu] dans une catacombe de Rome, 40 évêques, en majorité latino-américains, sous l’impulsion de Helder Camara se sont réunis et ont signé ce qui s’est appelé « le Pacte des Catacombes ». Ils s’engageaient à vivre dans la pauvreté, qu’il s’agisse de nourriture, de transport, de logement. Ils s’engagent, ils ne disent pas ce qu’il faut faire, ils s’engagent et effectivement, par la suite, ils l’ont fait une fois de retour dans leur diocèse … et aussi à donner la priorité à ce qui concerne les pauvres, soit tout un ensemble d’éléments qui vont dans ce sens. Voici ceux qui furent les animateurs de la Conférence de Medellin. Là est née une nouvelle étape.

Ils bénéficièrent d’un contexte favorable : à cette époque, l’Esprit Saint avait inspiré nombre de personnalités évangéliques. Les communautés ecclésiales de base avaient déjà fait leur apparition. Ce fut une époque de création, une époque comme il s’en produit parfois dans l’histoire … un héritage qu’il faut maintenir, conserver précieusement car rien de semblable ne va resurgir. Parfois on m’interroge : « Pourquoi les évêques ne sont-ils pas comme à cette époque ? » Parce que cette époque fut exceptionnelle : dans l’histoire de l’Eglise, c’est une exception. De temps en temps il arrive que l’Esprit Saint envoie des exceptions.

L’évangélisation

Alors, qui va évangéliser le monde d’aujourd’hui ? De mon point de vue, ce sont les laïques. Déjà sont apparus de nombreux petits groupes de jeunes qui pratiquent un mode de vie beaucoup plus pauvre, libres de toute organisation extérieure, en contact permanent avec le monde des pauvres. Il en existe déjà et il y en aurait davantage s’ils étaient mieux connus. Ce pourrait être une tâche auxiliaire de la théologie : faire connaître ce qui se passe dans la réalité où on se trouve, l’Evangile vécu, pour que cela se sache et que ces groupes se connaissent mutuellement car sinon ils peuvent se décourager ou manquer de perspectives. Une fois réunis, qu’ils constituent des associations, dans le respect des tendances, des modèles spirituels. Je n’attends pas grand chose du clergé. Nous sommes dans une situation historique nouvelle.

Il se fait que maintenant, les laïques ont cessé d’être des analphabètes : ils ont une formation humaine et culturelle, une formation de leur personnalité très supérieure à ce qu’on enseigne dans les séminaires. Ils sont mieux préparés à agir dans le monde, même s’ils ne connaissent pas beaucoup de théologie. N’allons pas penser que ceux qui demain vont réaliser le programme d’Aparecida, ce seront les prêtres. Les séminaires que je connais, les diocèses que je connais auraient besoin de 30 ans pour former un clergé nouveau. Et qui va le former ?

Les laïques, eux, sont nombreux à être prêts : ce sont des gens avec une formation humaine et des capacités de pensée et de réflexion, pour établir des relations et des contacts, diriger des groupes, des communautés. Beaucoup n’osent pas encore cependant ils sont l’avenir.

Le Saint Siège avait mis le cardinal Lorscheider (Brésil) en exil. Alors arriva un successeur Claudio Humes qui supprima tout ce qui avait un caractère social dans le diocèse : il renvoya tout le monde : 300 personnes ayant un long vécu de service, pleines de capacités humaines … comme ça, sans ambages. Ils m’ont contacté : « Maintenant, nous ne pouvons rien faire ? Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »

Je leur ai dit : « Vous êtes des personnes profondément humaines, développées, à forte personnalité. Vous avez réussi dans votre vie familiale et professionnelle. Qu’est-ce que vous allez vous préoccuper de savoir si l’évêque veut ou ne veut pas ? Si le curé veut ou ne veut pas ? Vous possédez toute la formation suffisante et les capacités, pourquoi n’agissez-vous pas ? Ne constituez-vous pas une association, un groupe, de façon indépendante ? Le droit catholique permet la constitution d’association indépendantes de l’Evêque, indépendantes du curé…On n’enseigne pas cela dans les paroisses ! Vous pouvez organiser un groupe de 5 ou 6 personnes pour mettre sur pied un système de communication, un système de spiritualité, un système d’organisation pour une présence dans la vie publique, dans la vie politique, dans la vie sociale …cela coûte de l’argent ? S’il faut payer 5 personnes, chacun va dépenser 2 % de ce qu’il gagne : on peut bien faire vivre 5 personnes qui se consacrent à cela. Elles sont à choisir entre les 25-50 ans car c’est le moment de la créativité. Jusqu’à 25 ans, l’être humain se cherche. Ensuite les études terminées en possession d’un travail, il veut donner sens à sa vie. Là se trouvent ceux qui ont capacité à inventer. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Pourquoi tant de timidité ? C’est vous, dans le monde qui avez toutes ces capacités…du côté de l’Eglise, rien. » Ils ne s’en sentaient pas capables, ils avaient besoin de l’évêque, des prêtres qui leur disent quoi faire. Comment est-ce possible ? On ne leur a pas appris ! On peut se comporter en adulte dans la vie civile et en gamin dans la vie religieuse !

Nous pouvons le faire dans toutes les régions. L’avenir dépend de groupes de laïques semblables qui existent déjà, même s’ils sont très dispersés. C’est là qu’est l’avenir. C’est notre tâche à tous, à commencer par les jeunes. Au Brésil il y a actuellement 6 millions d’étudiants universitaires : 2 millions viennent de familles pauvres càd là où on gagne moins de trois fois le minimum vital. Avec « moins » on ne peut pas vivre décemment. En quoi consiste la présence du clergé ? Elle est infime. Quelques religieux … et du diocèse, il n’y en a pas. Et là est l’avenir. Ce sont des jeunes qui découvrent le monde. Bien sûr certains se mettent à la drogue, se laissent corrompre mais c’est une minorité ; dans l’ensemble ce sont des personnes qui veulent faire quelque chose dans la vie. S’ils n’ont pas connaissance de l’Evangile, ils ne vivront pas en chrétiens. Il faut l’expliquer mais pas avec des cours de théologie, expliquer par l’action, en participant à des actions qui sont réellement des services rendus aux pauvres. C’est possible.

La tâche de la théologie ? Il faudra changer, être moins académique, plus orienté vers le monde extérieur vers ceux qui ne sont pas dans le réseau d’influence de l’Eglise, qui ne sert pas. Etre une présence, offrir une théologie lisible sans avoir une formation scolastique – parce qu’autrefois si on n’avait pas une formation aristotélicienne, on ne pouvait rien comprendre à cette théologie traditionnelle. Eh bien, la philosophie aristotélicienne est morte càd les philosophes du XXe siècle l’ont enterrée. Il nous faut maintenant inventer : comment allons-nous nous ouvrir au monde ?

José Comblin – Brésil – mars 2010
 

[1(Les Etats pontificaux furent concédés par les Lombards à la papauté sous la pression de Pépin le Bref, sous l’appellation de « donation de Constantin ». Ces Etats de l’Eglise furent annexés au Royaume d’Italie en 1870. Les accords du Latran conclus par le Vatican et Mussolini ont créé en 1924 le petit Etat du Vatican.)

[2(par l’annexion des Etats pontificaux en 1870)


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