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L A V I G E R I E . be
Document

En guise de préparation au Synode sur la famille du 5 au 19 octobre 2014 à Rome

vendredi 14 mars 2014 par Webmaster
  [marron]Voici un commentaire de Philippe Bacq, théologien belge, sur le questionnaire à propos du synode.[/marron]

[bleu marine]Philippe Bacq est un père jésuite belge qui enseigne au centre Lumen Vitae, responsable à Bruxelles de la formation à la pastorale et à la catéchèse. Il a théorisé le concept de pastorale d’engendrement, une vie et une action fondées sur l’Evangile, qui permettent à Dieu d’engendrer l’homme à sa propre vie.[/bleu marine]

Le pape François ouvre une large consultation parmi les membres du peuple de Dieu pour préparer le synode sur la famille. Le document reçu comprend 8 questions. Nous en retenons quatre : 1. Le mariage selon la loi naturelle (question 2) ; 2. L’ouverture des époux à la vie (question 7) ; 3. Les unions de personnes du même sexe (question 5) ; 4 Les situations matrimoniales difficiles (question 4). Comme théologien, il a paru plus fécond d’aborder de façon un peu développée et argumentée quelques problématiques actuelles très présentes dans les communautés croyantes, plutôt que de répondre précisément à chacune des questions. Nous partons de l’expérience pastorale pour y ancrer la réflexion théologique, surtout à partir de l’enseignement de saint Thomas.

[marron] 1. Le mariage selon la loi naturelle [/marron]

En Belgique, ni « la culture civile » ni « les baptisés en général » ne font appel à la loi naturelle pour guider leur agir dans le domaine de la sexualité. Les chrétiens plus âgés en ont entendu parler, mais ils ne la connaissent pas bien. Elle leur paraît compliquée et peu capable de les aider dans les situations concrètes et délicates qu’ils vivent dans leurs familles [1]. Les plus jeunes l’ignorent totalement. Dès lors, demande le document, « quelles conceptions de l’anthropologie » invoquent-ils ?

Les chrétiens suivent tranquillement leur conscience sans plus se préoccuper des normes de l’Eglise. La grande majorité des pasteurs vont aussi dans ce sens. C’est la seule manière pour eux de respecter l’expérience des fidèles. On en arrive ainsi à une situation qui n’est pas saine : les lois sont là ; elles sont régulièrement rappelées, mais chacun va son chemin à partir de ses convictions personnelles. « Suivre sa conscience » devient le leitmotiv de la pastorale familiale et on ne voit pas bien comment faire autrement. Cette situation creuse un fossé de plus en large entre le Magistère et le peuple de Dieu. A l’époque [bleu]d’Humanae Vitae[/bleu], nombreux sont ceux qui ont quitté l’Eglise. Aujourd’hui, la tendance est plutôt : dans le domaine de la sexualité, le Magistère de l’Eglise n’a rien de signifiant à nous dire. Les normes sont élaborées par des hommes, célibataires, qui n’ont aucune expérience de la vie du couple et de l’éducation des enfants. On les laisse dire, sans quitter l’Eglise pour autant. Le théologien, lui, se pose la question : les lois du Magistère de l’Eglise sont-elles vraiment pertinentes aujourd’hui ? Le [bleu]sensus fidei[/bleu] du peuple de Dieu ne l’invite-t-il pas à renouveler son enseignement sur certains points au moins ? C’est l’horizon de cette réflexion.

Quel est le critère moral suivi par la grande majorité des chrétiens mariés de notre région ? Il est simple : se rendre mutuellement heureux, s’épanouir ensemble, se faire du bien, grandir en humanité en se respectant dans ses différences. D’où le noyau des valeurs principales de la vie familiale : se parler, s’écouter, essayer de se comprendre, accepter les divergences de points de vue, se faire plaisir, tenter de dépasser les frustrations, durer si possible dans l’amour mutuel pour toujours : les jeunes couples le souhaitent aussi, tout en sachant que c’est très difficile vu l’expérience de leurs aînés : les divorces sont nombreux autour d’eux. Le pardon mutuel, le don de soi aux autres et le partage font partie de ce noyau. Ce sont les valeurs les plus souvent évoquées par les jeunes qui se préparent au mariage. Ils désirent les communiquer à leurs enfants. Elles dessinent ce qu’on pourrait appeler : la vie du désir.

C’est un premier obstacle à la « loi » naturelle qui évoque d’abord et avant tout l’obligation morale. Dans l’enseignement courant de l’Eglise, le « premier précepte » de la loi naturelle est en effet : « il faut faire le bien et éviter le mal » [2]. Or les expressions : « précepte », « loi », « il faut », sonnent mal lorsqu’il s’agit d’éclairer la vie du désir. Celui-ci inclut l’obligation morale, mais il la déborde du tout au tout. Les partenaires d’un couple vivent « naturellement » le don d’eux-mêmes comme si cela allait de soi. L’obligation morale intervient lorsqu’une difficulté se glisse entre eux. Ils ne se comprennent plus, s’énervent mutuellement, deviennent un peu des étrangers l’un pour l’autre… A ces moments, ils durent dans la relation « par devoir », en se remettant en quelque sorte sous la loi, mais ils espèrent que le désir mutuel reprenne le dessus. Aborder le mariage par le biais de l’obligation, c’est l’envisager à partir de ses difficultés et non des sources de vie qu’il promeut. Les couples ne se retrouvent pas dans cette manière de s’exprimer. De plus, pour les chrétiens, elle renvoie d’abord à un Dieu qui est l’Auteur de la Loi et qui veille à son observation. Mais, du point de vue théologique, est-ce là le cœur de son mystère ?

Peut-on penser la vie du couple et de la famille d’une manière un peu différente ?
Saint Thomas peut y aider sur deux points essentiels. Tout d’abord dans sa manière de concevoir la loi naturelle. Elle est, dit-il, la capacité de la créature raisonnable de « participer à la providence divine en pourvoyant à soi-même et aux autres » [3]. « Etre providence » pour soi et pour les autres : porter attention à, veiller sur, chercher pour soi et l’autre ce qui peut être profitable, ce qui construit du dedans ; prévoir ce qui peut faire grandir en humanité et y pourvoir… Les partenaires du couple ne sont plus situés devant un « premier précepte » - un « principe catégorique » aurait dit Kant-, mais devant la personne concrète de l’autre dans ce qu’elle a d’unique : prendre soin de lui, comme on veille sur soi. En agissant ainsi, les couples participent à l’agir même de Dieu qui est Providence.

C’est une façon de parler qui respecte davantage la vie du désir. De plus, elle rejoint la règle d’or qui est au cœur de l’enseignement des béatitudes : « Comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux » [4]. Le Christ situe ainsi chacun devant la personne de l’autre qui devient « l’absolu » à respecter. Face à lui, il n’est même plus nécessaire d’assurer sa parole par un serment qui prendrait le Seigneur à témoin ; le frère est tellement respectable en lui-même qu’un simple [bleu]oui[/bleu] ou un simple [bleu]non[/bleu] suffit [mauve fonce](Mt 5,33-37)[/mauve fonce]. Il prend même les devants sur Dieu qui s’efface devant lui : se réconcilier avec son frère passe avant l’offrande que l’on présente à l’autel [mauve fonce](Mt 5,25)[/mauve fonce]. Sur ce point, l’Eglise a un message essentiel à dire au monde : l’éthique trouve un fondement absolu en la personne de l’autre, même pour tous ceux qui ne croient pas en Dieu. L’Evangile atteste ainsi ce que les chrétiens sentent en conscience : aux yeux de Dieu, le principe premier de l’éthique est de rechercher ce qui est bien pour les deux partenaires, en se respectant « absolument » dans ses différences. Enfin, cette façon d’aborder les choses reflète au mieux le mystère du Dieu chrétien. Au cœur de la Trinité, les personnes sont « providence » les unes pour les autres : le Fils se reçoit du Père et se donne à lui ; l’Esprit est leur amour réciproque. Se donner, se recevoir et se donner en retour sont les relations qui constituent les personnes de la Trinité. Elles fondent aussi la vie du couple et de la famille. Elles « créent » progressivement l’homme et la femme « à l’image de Dieu ». Nous ne sommes plus d’abord face au Dieu qui légifère par l’intermédiaire de la loi naturelle : nous sommes devant un Dieu interpersonnel, source de l’Amour.

Mais saint Thomas est précieux sur un autre point. Il distingue clairement trois niveaux dans la « loi naturelle » : tout d’abord, « le premier précepte » : « faire le bien, éviter le mal » [mauve fonce](Q 94, art. 2)[/mauve fonce], ou mieux : « être Providence pour soi et pour l’autre ». Ensuite, « les autres préceptes » qui se « fondent sur lui » et qu’il appelle « les préceptes premiers » [mauve fonce](Q 94 art. 2 et 5)[/mauve fonce]. Il les énumère selon une hiérarchie précise : tout d’abord, ce que l’homme partage avec tous les êtres de la nature : « la conservation de son être selon sa nature propre » ; ensuite, ce qu’il a de commun avec le monde animal, « par exemple l’union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc. » ; enfin ce qui lui est propre en tant qu’homme : « une inclination naturelle à connaître la vérité sur Dieu et à vivre en société » [mauve fonce](Q 4, art. 2)[/mauve fonce]. Le premier précepte et les préceptes premiers sont immuables. Mais il y a des « préceptes seconds » qui découlent de ces préceptes premiers pour régler la vie de tous les jours. Eux aussi « ne changent pas dans la plupart des cas », toutefois, dit-il, « il peut y avoir des changements en tel cas particulier, et rarement, en raison de causes spéciales qui empêchent d’observer ces préceptes… ». Ces changements sont légitimes s’ils promeuvent « ce qui est utile à la vie humaine » [mauve fonce](Q 94 art. 5)[/mauve fonce] [5].

Première remarque, les préceptes de la loi naturelle ne sont donc pas tous à mettre sur le même pied : il y a une hiérarchie des valeurs à respecter et il peut y avoir du changement dans les préceptes seconds de la loi naturelle en fonction des situations particulières. C’est un acquis très signifiant. Ceci dit, aujourd’hui, vu le progrès des sciences humaines, on peut se demander si certains préceptes premiers ne peuvent pas changer eux aussi. Nous y reviendrons. Deuxième remarque : Thomas compare la sexualité humaine à celle des animaux. A nouveau, les avancées scientifiques actuelles changent totalement cette manière de voir et il convient d’en tenir compte dans la réflexion.


[marron] 2. L’ouverture des époux à la vie[/marron]

Les couples connaissent-ils la doctrine d’[bleu]Humanae Vitae[/bleu] ? Les catholiques plus âgés et la majorité des pasteurs n’en savent qu’une seule chose : l’interdiction des moyens contraceptifs dit non naturels. Les développements plus positifs sur l’anthropologie du mariage sont complètement ignorés… C’est dire la difficulté du Magistère à communiquer les aspects positifs de son message. Les chrétiens adhèrent-ils à cette doctrine ? La plupart d’entre eux ne l’acceptent plus. Souvent même, ils reprochent vivement à l’Eglise de les avoir culpabilisés à tort dans ce domaine. Certains disent, avec une pointe d’agressivité : pourquoi le Magistère éprouve-t-il tant le besoin d’entrer dans notre chambre à coucher ? On est assez grand pour savoir ce qui est bon pour nous ! Les jeunes eux, tombent des nues quand on leur parle d’[bleu]Humanae Vitae[/bleu]. Pour quelles raisons la majorité des chrétiens ont-ils pris distance par rapport à cet enseignement ?

Les couples vivent la sexualité en suivant le premier principe de la loi naturelle : ils essayent, dans ce domaine comme dans tous les autres, d’être providence l’un pour l’autre. Sont-ils ouverts à la vie ? Fondamentalement oui, mais les situations concrètes varient à l’infini ; aujourd’hui les pasteurs sont acculés à une pastorale du cousu main… On peut cependant dessiner un schéma très général : tout au début, avant de se marier, les jeunes vivent ensemble durant un temps et s’unissent sexuellement sans donner la vie : ils désirent avant tout se connaître mutuellement ; se sentant attirés l’un vers l’autre, ils se demandent s’ils peuvent s’harmoniser dans ce domaine aussi. Ils se montrent en effet très « prudents » : le nombre important de divorces autour d’eux les convainc du bien fondé de leur décision. Mais à leurs yeux, celle-ci n’a rien à voir avec [bleu]le concubinage ad experimentum[/bleu] dont parle le questionnaire ! Puis vient le moment de s’engager définitivement l’un vis-à-vis de l’autre avec le désir de mettre au monde des enfants. Après deux, trois, quatre naissances, consciemment et librement, ils ne s’ouvrent plus à la vie : ils exercent alors la relation sexuelle uniquement pour leur bien mutuel. Il convient de le remarquer : à notre époque, on vit beaucoup plus longtemps que du temps de St Thomas et, dans nos régions, la mortalité infantile est quasi inexistante ce qui change considérablement le rythme des relations sexuelles entre les partenaires d’un couple !

Pour réguler les naissances, les couples utilisent les moyens techniques qui sont les plus adaptés à leur situation concrète. Agir ainsi leur semble tout « naturel » ; ils décident ensemble, dans le respect mutuel, ce qui est « bien » pour eux. Le théologien se demande : ont-ils tout à fait tort ? Selon la doctrine d’[bleu]Humanae Vitae[/bleu], le couple qui ne désire pas d’enfant doit respecter le rythme sexuel « naturel » de la femme. Le mot nature prend donc ici un sens biologique ; le critère n’est plus le principe premier de la loi « naturelle » : « être providence pour soi et pour l’autre » ; on soumet ce premier principe à un autre précepte, moins fondamental et qui devrait normalement découler de lui. N’y a-t-il pas là une inversion de cet « ordre » des valeurs que voulait Saint Thomas ?

C’est une des difficultés majeures d’une certaine manière de présenter la loi naturelle dans le domaine de la sexualité. Tantôt le mot nature est pris dans son sens premier : être providence pour soi et pour l’autre ; tantôt dans un sens dérivé : ici, respecter le rythme biologique de la sexualité féminine ; on ne voit pas le lien entre ces deux aspects de la « nature ». Dans bien des couples, « être providence » pour l’épouse et la mère de famille qui a déjà mis au monde plusieurs enfants, c’est précisément prendre les moyens les plus sûrs pour qu’elle puisse s’unir à son mari sans craindre une nouvelle naissance. Certes, il y a les méthodes dites « naturelles » pour gérer la sexualité, mais, dans bien des cas, elles ne sont pas fiables et ne peuvent être appliquées sans un surcroît de stress pour les conjoints. C’est une question de « prudence », si importante en morale, comme le rappelle, dans un autre contexte, la commission théologique internationale [6]. Si une certaine compréhension de la loi naturelle devait aller contre le bon sens commun, n’est-ce pas cette manière de la comprendre qu’il convient de changer ?

La question est d’autant plus grave que notre manière de concevoir la sexualité a fortement évolué depuis l’époque de Saint Thomas. Nous abordons ce point en envisageant « les unions des personnes du même sexe ».


[marron] 3. Les unions des personnes du même sexe.[/marron]

Selon saint Thomas, l’homme et la femme sont attirés l’un vers l’autre par un instinct naturel au même titre que tous les autres animaux. Il n’y a pas d’exception. Dans cette hypothèse, aller contre cette tendance hétérosexuelle, c’est aller consciemment contre l’instinct de sa nature, d’où la notion de « péché contre nature ». L’acte homosexuel s’apparente alors à un péché d’orgueil, comme l’affirmait déjà St Paul [mauve fonce](Rm 1,24-32)[/mauve fonce].

Manifestement, Saint Thomas ne savait pas que l’homosexualité existe aussi dans le monde animal. De plus, il ignorait que la sexualité humaine ne peut se comparer à l’instinct animal. Bien plus complexe, elle est perçue aujourd’hui comme un ensemble de pulsions (voir, toucher, goûter et aussi la pulsion sexuelle proprement dite au moment de l’adolescence) qui s’ordonnent petit à petit durant l’éducation et finissent par s’harmoniser dans l’attrait mutuel de l’homme et de la femme. Mais, d’une part, ce n’est jamais fait une fois pour toutes ; il y a des avancées et des reculs sur ce chemin, des régressions, des fixations à des états archaïques de l’enfance et parfois des déviations dont il est « prudent » de tenir compte dans l’exercice de la sexualité. De plus, l’attirance hétérosexuelle se réalise « dans la plupart des cas », mais pas toujours. Des hommes et des femmes se découvrent en effet attirés par les personnes de leur sexe et ils n’y peuvent rien ; loin d’aller contre leur nature, ils la suivent dans ce qu’elle a de particulier. Aujourd’hui, des scientifiques de plus en plus en nombreux estiment qu’il y a des raisons génétiques dans l’homosexualité. Saint Thomas ne pouvait même pas imaginer cette éventualité. On est donc dans une tout autre ambiance de pensée.

Dans notre culture personnaliste, interdire toute relation homosexuelle est perçu comme une discrimination insoutenable : il y aurait donc des hommes et des femmes qui n’auraient pas le droit d’exercer leur sexualité, simplement parce qu’ils ne la vivent pas comme la majorité des autres être humains ! De plus, poser cet interdit, c’est assumer une responsabilité énorme dont, le plus souvent, le Magistère de l’Eglise ne prend pas la mesure. On sait aujourd’hui qu’une répression de l’exercice de la sexualité, imposée du dehors, peut conduire à des déplacements inconscients des pulsions aux conséquences néfastes : alcoolisme, drogue, autres addictions, maladies psychosomatiques, troubles dans le domaine des relations, intransigeance, agressivité, autoritarisme etc. Qui sommes-nous pour imposer des interdits aussi rigides dans un domaine aussi délicat ? N’y-a-t-il pas là un manque de « prudence » et de sagesse ? Bien des pasteurs se posent ces questions.

Du point de vue théorique, le théologien se demande s’il convient aujourd’hui de classer l’hétérosexualité parmi ces préceptes premiers de la loi naturelle qui sont immuables. Le critère est certes signifiant « dans la plupart des cas », comme le disait Thomas à propos des préceptes seconds ; il importe de l’affirmer face à la théorie du [bleu]gender[/bleu] qui n’attache plus aucune signification à la distinction des sexes masculin et féminin. Il y a là un excès en sens inverse que le simple bon sens et la sagesse de toujours réprouvent. Mais en même temps, on ne peut faire de la distinction sexuelle un absolu qui passerait avant le principe premier de la loi naturelle : « être providence pour soi et pour l’autre ». Ce serait un autre excès, contraire lui aussi au « bon sens » moral.

Tout compte fait, la manière dont les chrétiens de notre culture pensent aujourd’hui le problème de l’homosexualité, n’est-elle pas la plus ajustée ? Appliquer le principe premier de la morale, être providence pour soi et pour l’autre, et voir ce qui convient le mieux suivant la situation précise des partenaires en présence. Pour le fond, nous rejoignons ainsi ce qui a déjà été dit à propos des couples mariés.

[marron] 4. Les divorcés remariés[/marron]

Dans ce domaine, il n’est plus question de la loi naturelle, mais de la doctrine traditionnelle de l’Eglise. La très grande majorité des chrétiens la connaît. Ils la résument en deux interdits : si on est divorcé, on ne peut pas se remarier ; si on se remarie, on ne peut pas plus aller communier. Pour quelles raisons ? Ils répondent : le mariage chrétien est un sacrement ; il est indissoluble. Sont-ils d’accord avec cet interdit de l’Eglise ? L’un d’eux exprimait la difficulté de beaucoup comme ceci : la vie en couple devenant dégradante, j’ai dû me séparer de mon épouse et l’Eglise me le permet. Elle m’interdit de me remarier, mais je ne sens aucun appel de Dieu à rester célibataire [7] : Que faire ? Il ajoutait, non sans quelque malice : si je vais voir les prostituées et si je me confesse après, je peux communier ; si je me remarie, je ne le peux pas. Est-ce juste ? Lui faire entendre qu’en se remariant, il transgresse l’ordre objectif du mariage voulu par Dieu devient évidemment tout à fait incongru !

Il est une autre porte de sortie, enseignée par l’Eglise : faire déclarer nul le premier mariage. Le droit canon a étendu les cas de nullité pour tenir compte de la multiplicité croissante des divorces entre chrétiens. Mais la plupart des personnes concernées refuse cette solution pour deux raisons : tout d’abord, selon leur conscience, leur premier mariage n’était pas « nul » : ils s’étaient engagés en toute vérité, avaient essayé de s’aimer malgré les difficultés et toute cette partie de leur vie compte à leurs yeux ; ils ne désirent pas l’effacer purement et simplement par une détermination juridique extérieure à eux. De plus, comme le disait récemment un père de famille chrétien : « Faire déclarer nul mon premier mariage, ce serait signifier à mes enfants que leur mère a été une erreur dans ma vie… Ce n’est pas vrai et c’est impensable pour moi de leur communiquer ce message ». Viennent s’ajouter à ces arguments les dépenses qu’occasionnerait une demande de nullité, mais cette difficulté est seconde par rapport aux deux premières. A la question : « La simplification de la pratique canonique… offrirait-elle une contribution positive à la solution des problèmes… ? », la réponse est non. On ne répondrait pas à la question de fond.

Nous retrouvons en effet ici une question déjà évoquée : le Magistère de l’Eglise latine aborde la question des divorcés remariés sous un angle juridique ; c’est très sensible dans l’article de Mgr Müller paru récemment sur le sujet [8] ; les couples, eux, la vivent d’un point de vue existentiel. Le fossé est infranchissable et il se creuse de plus en plus. Dans la pratique concrète, ici comme sur les autres points, les pasteurs disent aux couples d’agir selon leur conscience et eux-mêmes agissent selon leur propre conscience : en privé, certains évêques libèrent des divorcés remariés de l’abstinence eucharistique, tout en leur disant qu’ils ne peuvent pas le déclarer publiquement. On sent l’ambigüité de cette attitude et la distance qui se creuse de plus en plus entre les règles « objectives » du Magistère et le [bleu]sensus fidei[/bleu] des pasteurs et des chrétiens de nos régions.

Le théologien se demande : la position du Magistère ne peut-elle évoluer ? Trois textes du Nouveau Testament sont au fondement de la doctrine traditionnelle. Le premier est tiré des évangiles synoptiques. Les pharisiens demandent à Jésus si l’homme peut répudier son épouse comme le permet la loi de Moïse dans certains cas. Il répond : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme… c’est pourquoi les deux seront une seule chair… Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » [mauve fonce](Mc 10,5-9 ; Mt 19,4-9 ; Lc 16,18)[/mauve fonce]. Il ne parle donc pas du divorce tel qu’on le conçoit aujourd’hui. Il refuse que l’homme exerce un pouvoir indu sur son épouse en la répudiant ; il rappelle ainsi l’entière égalité de l’homme et de la femme au sein du couple. Il formule aussi le vœu qui est au cœur de tout amour : que les époux ne se séparent pas. C’est un souhait, une aspiration, qui correspond au désir de Dieu. Du point de vue herméneutique, on ne peut passer de ce style exhortatif à la détermination juridique d’une obligation assortie d’une sanction. Aux yeux de nombreux théologiens, ce glissement de genre littéraire n’est pas acceptable du point de vue de la raison critique.

C’est aussi vrai pour le deuxième texte allégué, le passage de l’épitre aux Ephésiens qui compare l’union des époux à la relation du Christ avec l’Eglise : « … Les deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand ; je le dis par rapport au Christ et à l’Eglise » [mauve fonce](Ep 5,31-32)[/mauve fonce]. Pour l’apôtre, le mariage chrétien est le symbole de la fidélité sans faille du Christ pour son Eglise. Mais on ne peut passer de cet ordre symbolique à une détermination juridique, sans commettre la même erreur logique.

Le troisième texte est tiré de l’épitre aux Corinthiens ; il est plus délicat à interpréter : « Quant à ceux qui sont mariés, je leur prescris, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari et que le mari ne quitte point sa femme » [mauve fonce](1 Co 7,10-11)[/mauve fonce]. On perçoit la distance entre cette affirmation et celle des évangiles Synoptiques : il n’est plus question d’un acte de « répudiation », mais d’une « séparation » entre les deux conjoints. Le contexte est celui du divorce tel qu’il est vécu aujourd’hui. De plus, Paul passe du style exhortatif à celui d’une « prescription ». Il inaugure ainsi un nouveau genre littéraire. Mais cela se comprend dans le contexte de l’épitre : certains chrétiens de Corinthe en effet se pensent libres par rapport à toute règle éthique ; depuis la résurrection du Christ, disent-ils, tout est permis… Certains vont même jusqu’à s’enorgueillir d’un cas d’inceste dans la communauté [bleu violet](I Co 5, 1-5)[/bleu violet]. Dans ce contexte, Paul juge et prescrit. C’est le service que rend la loi dans les situations de déviance volontaire. Mais on est très loin de la situation des divorcés remariés qui reconnaissent un échec dans leur vie. De plus, Paul pense que l’eschatologie est proche et qu’elle va survenir avant la mort de ses contemporains [mauve fonce](I Co 7,29)[/mauve fonce]. Aujourd’hui….

A nos yeux, la pratique orientale qui « par clémence pastorale » « ouvre la voie à un deuxième ou à un troisième mariage à caractère pénitentiel », ne paraît donc pas si contraire « aux paroles de Jésus sur l’indissolubilité du mariage » [9]. Le vœu de l’amour restera toujours de rester uni la vie durant. Accepter un nouveau mariage pour des divorcés, ne remet pas en question ce principe de fond. Affirmer que « l’indissolubilité du mariage sacramentel est une norme de droit divin qui n’est pas à la disposition du pouvoir discrétionnaire de l’Eglise », n’est-ce pas une manière très juridique de penser le sacrement de mariage ? Le droit canon prend le pas sur le sens premier du sacrement : le Christ se donne dans le oui des conjoints et anime leur amour de l’intérieur. Si des difficultés insurmontables apparaissent, le Christ pardonne et libère. Dans les récits évangéliques, il ne cesse d’affirmer que la loi est pour l’homme et non l’homme pour la loi. Le danger est de plaquer sur les textes fondateurs une mentalité latine très juridique. A ce moment, la bonne nouvelle de l’Evangile pour tous ceux qui souffrent devient un poids supplémentaire à porter. Il convient donc de distinguer beaucoup plus nettement entre « la substance de la foi » et « la formulation dont on la revêt » pour reprendre la distinction opérée par Jean XXIII dans son discours d’ouverture du concile : [bleu]Gaudet Mater Ecclesia[/bleu]. Il ajoutait : « Il faut tenir compte de cette distinction –avec patience au besoin- en mesurant tout selon les formes et les proportions d’un magistère à caractère surtout pastoral ». C’est ce que le peuple de Dieu attend aujourd’hui encore de ses pasteurs.

Ces quelques réflexions voulaient seulement aider les évêques à réfléchir à ces questions si délicates aujourd’hui. C’est à eux qu’il revient de prendre les décisions les plus sages pour le bien de toute l’Eglise.

Philippe Bacq s.j.
 



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Une bonne dizaine de théologiens et théologiennes de Belgique francophones ont déclaré leur soutien aux perspectives développées par Philippe Bacq
 

[1Le récent document de la Commission théologique internationale, A la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle, Rome, 2008, § 64 reconnaît : « la notion de nature est particulièrement complexe et elle n’est d’aucune manière univoque ». Nous citerons ce document sous l’appellation : La Commission théologique internationale.

[2Ia-IIae, q. 94, a. 2 : « Le premier précepte de la loi est qu’il faut faire et poursuivre le bien et éviter le mal. Sur ce précepte se fondent tous les autres préceptes de la loi de nature ». Ce texte est cité par la Commission théologique internationale, § 39, comme étant le cœur de la loi naturelle : « C’est sur ce précepte que se fondent tous les autres préceptes de la loi naturelle ».

[3Ia IIae q. 91, art. 2 La commission théologique cite ce texte par deux fois § 42, note 48 et § 63, note 63. Mais elle le cite comme en passant sans en faire la clef de voûte de son développement. Or saint Thomas commence tout son développement sur la loi naturelle par ce principe. Le précepte « faire le bien et éviter le mal » vient après et est donc inclus dans une perspective beaucoup plus ouverte.

[4Lc 6,31. La commission théologique internationale fait remarquer, à juste titre, que cette règle est présente dans les sagesses et les religions du monde (n° 12-17), mais elle ne la met pas au centre de ses réflexions.

[5Cet enseignement est rappelé par la Commission théologique internationale, au n° 46-52. Il est central dans l’argumentation.

[6§ 56-58

[7Cf. à ce sujet la remarque de Paul : « Je voudrais que tous les hommes soient comme moi, mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci l’autre celui-là. » (I Co 7,7).

[8Mgr Müller, Sur l’indissolubilité du mariage et le débat sur les divorcés remariés civilement et les sacrements dans l’Osservatore Romano du 23 Octobre 2013.

[9Dans ce paragraphe, les expressions entre guillemets sont celles de Mgr Müller, art. cit. note 8.


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