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L A V I G E R I E . be

Les Vélos du salut.

Récit de Jean Deffontaine, M.Afr.
samedi 27 août 2011 par Webmaster


Le 10 mai 1940, sept mois après la déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne, celle-ci rompt le front occidental. Le Führer mit ainsi fin à la « drôle de guerre » et lança ses armées sur les Pays –Bas, la Belgique et la France.

Cette invasion des troupes allemandes me surprit à Boechout où je venais juste de commencer mes études de philosophie.

Tous les étudiants de notre maison furent invités à s’enfuir vers Varsenare où se trouvait notre noviciat. Des milliers de nos compatriotes prirent en même temps la même décision d’abandonner leurs villes et villages et ce fut donc à une véritable évacuation de la Belgique que nous allions participer.

Mon groupe de réfugiés cyclistes se composait d’une quinzaine de jeunes confrères de première et deuxième année de philo, sous la direction du Père Louis Van Steene. Le plan de nos supérieurs était que ceux qui n’avaient pas de bicyclette restent à Varsenare et les autres continuent vers la France puis l’Afrique du nord avec leurs bécanes.

Avant notre fuite, comme je n’habitais pas loin de Boechout, j’ai demandé au Père Endriatis, notre supérieur, la permission d’aller dire au revoir à ma famille et si possible de ramener un autre vélo « de dame » pour Etienne De Waele, un de mes compagnons d’études. Eh oui, comme nous étions en soutane noire, on employait des bicyclettes « de dame » !?! Ma sœur Geneviève m’avait prêté la sienne et mon autre sœur Marguerite accepta volontiers de céder son coursier métallique à un futur missionnaire d’Afrique : cadeau pour les missions !
C’est ainsi que j’ai donc pu dire adieu à toute ma famille, papa, maman, mes frères et sœurs. Je ne devais plus revoir ma mère qui mourut d’épuisement un an plus tard le 17 mai 1941.

Je suis rentré de Berchem à Boechout en tenant ce deuxième vélo de ma main droite. Il n’y a qu’une demi-heure à pédaler de Berchem à Boechout.


Nous nous sommes mis en route pour Varsenare et notre futur voyage vers l’Afrique du nord avec le strict nécessaire pour ce long voyage. Nous roulions en cadence tout de noir vêtus : soutane, douillette et chapeau rond, tous de la même couleur « corbeau ». Une petite valise avec quelques effets et objets personnels clôturait cet attirail de réfugiés. Une bonne introduction à la vie simple qui nous attendait en mission.

Après un bref arrêt à Varsenare près de Bruges, nous voilà reparti, plein sud, vers la frontière Française que nous franchissons dans la région de Lille. Tout au long de notre périple sur deux roues, nous étions accompagnés par le bruit du canon que nous entendions au loin. Le soir tombait, il nous fallait trouver une place pour dormir. Nous étions tous réunis sur la place de l’église dans un petit village du nord, dont je ne me souviens pas du nom. Le Père Van Steene se renseigna auprès d’un villageois pour savoir où était le presbytère du patelin et une minute plus tard, nous sonnions à la porte d’un brave curé de campagne qui fut bien surpris de voir cette caravane de 15 jeunes collègues. Les Pères Blancs sont évidemment bien connus en France, patrie de notre fondateur, et le généreux ecclésiastique nous écouta avec bienveillance. Comprenant notre besoin de trouver un gîte pour la nuit, il ne fit ni une ni deux et se mit à sonner les cloches de l’église. Bientôt les paroissiens qui n’avaient pas encore fuit le village accouraient de part et d’autre. Après quelques explications de leur pasteur, ses ouailles nous emmenèrent chez eux pour la nuit, deux par deux. J’étais avec Paul Van De Broek, nous étions tellement fatigués, qu’on n’a même pas pris la peine d’enlever nos accoutrements de séminaristes et c’est en soutane et douillette que nous nous sommes couchés sur le même lit de fortune. Auparavant nous avions eu bien soin de suspendre nos chapeaux ronds au dos d’une chaise de paille. Au loin le canon continuait de rugir pour nous rappeler que c’était bien la guerre.


Très tôt le matin, nous étions de nouveau à courir sur les routes de France direction Paris. Partout on rencontrait de longues files de réfugiés, belges et français qui comme nous fuyaient les combats. Pauvres gens lourdement chargés, parfois des familles entières, à pieds, à vélo, en charrettes trainées par des bœufs, des chevaux, des autos aussi, tous ces véhicules croulaient sous le poids d’un incroyable bric à brac.

A un moment donné notre colonne de réfugiés a subi l’attaque des avions allemands. Ces oiseaux de malheur piquaient sur nous en prenant notre longue caravane en enfilade sous le feu de leurs canons et mitrailleuses. Nous nous sommes tous jeté dans le fossé et les champs au bord du chemin. Aucun blessé Dieu merci !

Nous sommes arrivés dans les faubourgs de Paris dans la soirée et nous nous sommes immédiatement dirigés vers la maison d’accueil des Pères Blancs de la rue Friant. Nous étions affamés. Toute la bande des 15 fugitifs de Boechout s’est alors réunie dans un restaurant juste en face de la procure et puis sans trop tarder on est allé se coucher. Dans les jours qui suivirent, les scholastiques d’Heverlee nous ont rejoint dans ce quartier de Paris. C’était toute une armée de Belges qui maintenant logeait à la rue Friant. A la guerre comme à la guerre.
Assez vite tout ce petit monde put partir en train vers Marseille. Un membre de la famille de Jean de Rovere qui était en poste à l’ambassade de Belgique à Paris nous a obtenu à chacun un ticket gratuit, vélos compris, et nous avons ainsi fait le voyage vers la cité Phocéenne sans aucun problème à bord de la SNCF.


A Marseille, toujours avec nos petites reines, nous nous sommes embarqués pour Alger sur le LAMORICIÈRE. Ce paquebot devait sombrer en méditerranée quelque temps plus tard le 9 janvier 1942.

Nous n’avions évidemment pas de cabines. En pauvres futurs missionnaires nous étions en dernière classe, voyage de nuit, casse-croute et sommeil problématique en plein air sur le pont du navire. Beaucoup eurent le mal de mer et la « Mare Nostrum » fut bientôt barbouillée de nos tartines à moitié digérées.


Nous avons débarqué dans le port d’Alger dans la matinée du jour suivant. Nos confrères nous y attendaient. Notre groupe de philosophes en uniforme de corvidés tranchait sur les autres en habit de pélicans. Pour un peu nous « Perblandiser » nos responsables nous distribuèrent des Chéchia au lieu de nos chapeaux ecclésiastiques.
Mais cela contrastait encore plus. On avait l’air de corneilles qui revenaient d’une razzia dans un champ de fraises. Notre supplice vestimentaire pris fin quelques mois plus tard où, contrairement aux sacro-saintes traditions, on nous distribua non seulement des gandouras mais même des rosaires. Pour la première et la dernière fois dans l’histoire de notre société, des philosophes en herbe portèrent l’habit complet des fils de Lavigerie avant le noviciat, mais c’était pour la bonne cause.

Nos soutanes et couvre chefs couleur anthracite « made in Belgium » furent confiés au grand séminaire d’Alger.

Nos fidèles montures d’acier disparurent dans les soutes de l’économat de la maison mère, on ne les a jamais revues.

Adieu chers « vélocipèdes pour dames » !

Jean Deffontaine, M.Afr.

(Les dessins sont de l’auteur)

 

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