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L A V I G E R I E . be
Alger

Bas les masques

Jan Heuft, M.Afr.
mardi 20 juin 2017 par F.D. (Traduction), Jan Heuft, Webmaster

Bas les masques !

C’est le titre d’une émission télévisée où la dame qui interviewe invite ses interlocuteurs à parler d’importants problèmes de vie que chacun d’entre nous connaît. Il arrive que dans de telles situations nous sommes obligés de montrer notre vrai visage et de prendre position. Il faut alors laisser tomber les apparences et reconnaître la réalité.

Cela n’est pas facile. Et pourtant, c’est important, parce que nous sommes trop souvent emportés par le flux rapide de notre vie quotidienne. Depuis notre tendre jeunesse nous avons la tendance de jouer le rôle qui nous convient le mieux.

Avec des migrants et des réfugiés sérieusement malades, j’ai dû souvent accompagner cette forme de découverte personnelle. Ce sont des moments où vous jetez ensemble un regard sur l’âme d’un semblable, mais aussi sur vous-même. Il s’agit non seulement de poser les questions, mais aussi d’y répondre. Des jeunes gens, entre seize et trente ans, pleins d’énergie, en route vers un monde meilleur, mais frappés par la fatalité de la maladie ou de l’épuisement, voyaient leurs mirages s’effondrer comme des châteaux de cartes. Ils se voyaient dans la nécessité d’avouer à leurs parents et leurs amis que tous leurs projets n’avaient abouti à rien. (Voir dans l’évangile l’histoire du fils prodigue). Il est question alors de temps perdu et de gloire fanée. Il n’est pas rare, lors de leur enterrement, que la maman, de très loin, de milliers de kilomètres, parle pleine d’émotion.

Dans mon travail avec les handicapés il s’agissait toujours de la dignité de chaque personne, telle qu’elle est en elle-même. S’accepter et se faire accepter dans une communauté, comme un chacun, est une tâche énorme. Leurs yeux, qui me regardaient criant à l’aide, me sont encore très vivants. Je ne les oublierai jamais. Des yeux qui quêtaient reconnaissance, respect, amour, le droit à l’existence ! C’était un défi et en même temps une aventure fantastique de les accompagner et de pouvoir se battre avec eux pour chercher le sens de l’existence.

Mais dans le dialogue avec d’autres conceptions, d’autres cultures et croyances, nous sommes également toujours obligés de mettre nos propres idées en balance. Oui, de l’oser. Oser quitter ses certitudes et malgré cela confirmer sa foi. A chaque fois cela nous invite à réfléchir sur notre propre personnalité, à chercher des voies qui nous mènent vers l’essence de la vie et la foi en un Créateur, un Etre suprême. La situation actuelle dans un monde de guerres, d’attentats et de toutes sortes d’agressions, nous oblige à réfléchir aux valeurs essentielles de notre existence. Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Nous avons tendance à nous demander jusqu’où nous pouvons aller dans la rencontre de l’autre. Peut-on lui faire confiance ? Ne se présente-t-il pas mieux qu’il n’est en réalité ? Ne porte-t-il pas de masque ? Et nous pensons alors : regardez tout ce qui se passe ! Trop vite nous oublions alors qu’il s’agit vraiment de personnes, dont une certaine catégorie veut sciemment nous imposer sa vision. Nous savons qu’ils font de même envers leurs propres coreligionnaires. Mais nous savons aussi qu’il y en beaucoup qui suivent un chemin long et difficile pour rencontrer l’autre. Le respect pour la conviction personnelle et la manière de faire, exige une lutte continuelle dans chaque communauté humaine. Des exemples frappants en sont les débats récents sur l’accueil de réfugiés dans nos pays et nos communes. Nous connaissons tous aussi dans l’histoire récente des cas de personnes « mises au ban » à cause de leurs convictions « divergentes ». D’ailleurs, beaucoup de réfugiés sont partis de chez eux précisément parce que leurs idées différentes n’y étaient pas acceptées. Bien souvent une société se dissimule derrière des dogmes et des tabous. Ce que nous aimons appeler nos « Normes et Valeurs ».

Toutefois on peut dire qu’une communauté progresse en valeur et en profondeur dans la mesure où chaque membre de cette communauté peut y être soi-même et en même temps ouvert à toute autre opinion. De cette manière, pourrait-on dire, chacun peut être plus profondément humain. Mais cela demande aussi que chacun, pour pouvoir vivre et travailler ensemble, mette « de l’eau dans son vin » et sache accepter qu’il n’a pas la « vérité éternelle » en poche.

Récemment j’ai été sérieusement malade et j’ai du subir une grave opération. Les musulmans autour de moi étaient fort préoccupés et se demandaient en panique si j’allais bien en sortir vivant. Ils ont prié autant, sinon plus, que mes confrères et amis chrétiens. Quelques-uns d’entre eux sont même venus camper devant l’hôpital, pour être plus proches de moi.

Dans les sombres années 1990, beaucoup de musulmans ont été assassinés, tout comme un certain nombre de chrétiens étrangers, prêtres et missionnaires. Nous-mêmes, nous avons du faire le choix : rester ou partir vers des lieux plus sûrs. La plupart de nous ont décidé de rester sur place et de rester fidèles à la population en difficulté. Ce choix nous l’avons fait précisément parce que nous voulions être en route vers un autre monde, un monde d’entente et de tolérance. Le testament du prieur de la communauté trappiste de Tibhirine est un exemple très clair de cette relation. C’était le cas aussi à l’enterrement de nos quatre confrères assassinés à Tizi-Ouzou, où plusieurs milliers de musulmans étaient dans les rues pour proclamer : « Vraiment, c’étaient des hommes de Dieu en qui nous avions mis notre confiance » (pensez au centurion au pied de la croix après la mort de Jésus). Ils ne peuvent s’imaginer un plus beau compliment. Mais je ne peux nier que c’était un temps où régnaient la peur et même le désespoir. Cela ressemblait quelque peu à l’image de Jésus dans le jardin des oliviers, quand il savait qu’il allait mourir. D’abord envers ses apôtres : « Ne pouvez-vous pas prier une heure avec moi ? », ou à son Dieu et Seigneur : « Si c’est possible, éloignez de moi cette coupe ». Ces textes faisaient partie de ma vie en ces temps-là ; et maintenant, chaque fois qu’il y a des assassinats « religieux » semblables, ils me reviennent en tête. Mais en ces temps-là, il y avait aussi des moments d’une vraie et profonde amitié, d’une unité spirituelle, d’une foi dans l’unique vrai Dieu, avec des musulmans qui nous venaient en aide. Oui, je peux dire qu’à plusieurs reprises je leur ai du la vie !

Quand il m’arrive de rêvasser au sujet de notre vocation et notre avenir, je ne puis m’empêcher d’être étonné et de me poser certaines questions :

  • 1/ Comment est-il possible que nous, en tant que « Chrétiens et/ou Personnes de bonne volonté » et pour moi comme membre des « Missionnaires d’Afrique », nous ne nous sentons pas plus interpellés par cet énorme fleuve de réfugiés qui coule vers l’Europe, par cette énorme misère que nous voyons à la télévision, ces gens qui meurent dans le désert ou se noient dans la mer. Quelles en sont les causes et qu’y faisons-nous ? Quels sont notre attitude et notre engagement politique, là où nous nous trouvons ? Que pensons-nous de justice et de paix ? Quelle est mon attitude personnelle ?
  • 2/ Comment est-il possible que nous, en tant que « Chrétiens et/ou Personnes de bonne volonté » et pour moi comme membre des « Missionnaires d’Afrique », nous ne nous sentons pas plus interpellés par la cruauté des attentats des musulmans radicalisés ? Nous missionnaires, qui depuis le début de notre fondation voulons promouvoir « le dialogue avec l’Islam », qu’y faisons-nous ? Quel est notre engagement aujourd’hui ? Faisons-nous des efforts pour enthousiasmer les jeunes pour ce dialogue ?


Oui, notre vocation en ce jour est plus urgente que jamais. « Prends TON bâton de pèlerin et chemine, car la terre à labourer est grande et les ouvriers peu nombreux ».

  Fr. Jan Heuft, PB.
Alger, le 11 juin 2017.

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